Partie 2 : par voie maritime, vers l’ouest. |
Les immenses navires qui avaient porté porcelaines et autres marchandises vers les côtes de l’Inde et de l’Afrique de l’Est ouvrant des routes maritimes que certains disent avoir atteint mêmes les côtes du continent Américain ont été abandonnées après la mort de l’amiral Zheng He en 1433. On déteste les Occidentaux et sur tout le front maritime un seul port reste accessible, celui de Canton, situé en haut de l’estuaire de la rivière des Perles. Au début du XVI e siècle c’est le Portugal qui règne sur les océans. Après plusieurs tentatives infructueuses ils sont les premiers Européens en 1557 à obtenir le droit d’installer un comptoir permanent à Macao, l’île située à l’ouest de l’embouchure de la rivière des Perles dans le sud de la Chine. Ce sont les porcelaines, la soie et le thé qui sont les principales marchandises à l’export. |
La puissante «East India Company» britannique est fondée en 1602, la «Compagnie néerlandaise des Indes Orientales» fonde son siège en 1619 à Batavia, le Djakarta de nos jours. C’est sur l’initiative de Colbert que Louis XIV fonde la «Compagnie française des Indes» en 1664. Afin de se doter d’une base maritime et commerciale le roi décide en 1666 de créer la ville de Lorient en tant que port de commerce dans l’estuaire du Blavet. Transformant le simple chantier naval en base d’armement c’est ainsi qu’à partir de 1720 Lorient devient la base exclusive des opérations de la «compagnie» et gère ainsi le monopole du marché français du thé ; toutes les cargaisons de thé sont débarquées à Lorient et commercialisées à Nantes, jusqu’à ce que Lorient ouvre son propre hôtel des ventes en 1734.
Retournons en Chine où les Britanniques ouvrent un comptoir permanant à Canton en 1699, et c’est donc à partir de 1700 que la compétition sur les ventes de thé vers l’Occident se met en place. Auparavant le thé consommé en Angleterre venait surtout des Pays-Bas car c’est la puissante Compagnie des Indes néerlandaises qui domine alors le commerce du thé, qu’ils transportent sur leurs propres navires vers l’Europe en passant par Djakarta et c’est à Amsterdam que l’on a commencé à boire du thé dès 1630 environ. |
Rappelons aussi qu’en face des puissances commerciales néerlandaise et britannique la France décide d’une stratégie différente et très subtile : le 3 mars 1685 Louis XIV envoie 6 Jésuites très habiles en mathématiques à la cour de l’empereur Kangxi de la dynastie des Qing -1644 à 1910 - qui est resté sur le trône de 1661 à 1722. Autorisés de résider à l’intérieur du pays, à Beijing, alors que les commerçants étaient confinés à Canton, les jésuites français sont restés plusieurs années en Chine et ont ouvert un courant d’échanges intellectuels et politiques important.
Nous arrivons au XVIIIe siècle : le thé est fortement implanté en Europe et commence à l’être aussi dans le nouveau monde, or la Chine en détient toujours un monopole absolu. Non autorisés à se déplacer à l’intérieur de l’empire les Européens doivent traiter avec les quelques douzaines de corporations de commerçants chinois disposant du privilège de commercer avec les barbares ; solidement structurées et gérant des circuits d’approvisionnement en thé bien rodés ces corporations doivent aussi lever les taxes de l’état sur les navires et les cargaisons qui s’élèvent à 40% et plus sur le thé. Un autre problème se pose du fait que les Chinois sont très peu intéressés par les marchandises en provenance d’Europe ce qui alourdit de plus en plus la balance commerciale en défaveur des Européens. La lourde taxation des deux côtés rend les prix du thé extrêmement élevés et aboutit à une contrebande énorme. Selon un rapport établi pour la cour d’Angleterre en 1783 cette contrebande faisait vivre plus de 400 000 personnes qui détournaient environ deux tiers du tonnage total importé du paiement des droits de douanes britanniques ; tous les autres pays européens pratiquant des droits de douanes peu élevés sur le thé. Ce trafic profitable aux fraudeurs porte atteinte à la qualité du thé, que l’on cherche à falsifier et aussi à la prospérité de la East India Company. En 1773 cette taxation excessive britannique du thé génère même une émeute de leurs colons américains, la fameuse «Boston tea party» qui est à l’origine de la guerre d’indépendance ! C’est enfin en 1783 qu’une baisse de la taxe sur le thé de 106% à 12,5 % intervient et que la situation se normalise ; toutefois cette baisse du prix du thé fait tripler les ventes de thé en Angleterre pour atteindre un volume d’environ 8 000 t par an en 1786.
Nous arrivons au XIXe siècle : la consommation de thé continue à progresser en Angleterre où la population est en forte augmentation. Avec une balance de paiement de plus en plus dans le rouge l’East India Company imagine un stratagème néfaste : l’importation en contrebande de l’opium, dont l’usage est interdit en Chine depuis 1779. Produit avec du pavot du Bengale, l’échange de thé contre l’opium est très avantageux, mais fait des ravages en Chine ; la cour impériale cherche vainement à l’interdire, ce vice touche tous les milieux de la population. Enfin obligé d’agir Pékin exige la destruction de tout le stock d’opium de Canton et ce conflit sert de prétexte à déclencher une opération militaire ; les Chinois sont rapidement battus par les Britanniques. Le traité de Nanjing signé le 29 août 1842 impose à la Chine l’ouverture de 4 nouveaux ports : en plus de Canton ce sont les villes de Shanghai, Ningbo, Amoy/Xiamen et Fuzhou qui deviennent accessibles aux Européens. |
«De la course de tea clippers à l’introduction du thé en Inde, au Sri Lanka, au Kenya …» Suite dans le prochain numéro.
Crédits photographiques : musée de Lorient